De: Albert Dupontel
Albert Dupontel en tant qu'acteur réalisateur, c'est une aventure que les cinéphiles partagent avec cet amoureux fou de cinéma depuis Bernie en 1996. Au début ses films étaient un peu trop fous, partaient dans tous les sens, parfois avec maladresse mais un humour corrosif avec succès public (Bernie) ou sans (Le créateur).
Les années 2000 virent Enfermés dehors et Le Vilain caricaturer son humour mais lui permettre de perfectionner sa mise en scène en faisant des erreurs de longueurs, de frénésie. Puis il connut un succès populaire avec une comédie vraiment hilarante grâce à "9 mois ferme", où Dupontel alliait virtuosité visuelle et gags comiques de situation avec ses dialogues percutants et un duo d'acteurs (lui et Sandrine Kiberlain) entouré de sa famille de gueules de cinéma. Puis en 2017, son adaptation du succès littéraire "Au revoir là-haut" fut primée et eut beaucoup de succès à juste titre. Il ajoutait une dimension émotionnelle qu'il cachait auparavant derrière son style punk qui limitait quelques peu son talent.
Non que l'irrévérence de Dupontel et sa seine colère soient un problème, bien au contraire. C'est juste qu'il manquait quelque chose d'indéfinissable. Que peut-être en adaptant un autre, il trouvait le ton de l'émotion mais que ceci sonnait un peu bizarre avec son style. Je me suis souvent dit en sortant d'un Dupontel que j'adorais le personnage, dans ses interviews (regardez son interview récente passionnante sur Thinkerview), ce qu'il véhicule, que j'adorais son talent, son humour cynique et semi dépressif, sa mise en scène. C'est un type bien, autodidacte très cultivé, ultra référencé, qui cite en permanence les autres par une humilité maladive. J'espérais qu'un jour, cet ami de Terry Gilliam lui rende hommage tout en assumant son style Tex Avery et en trouvant de l'émotion et un ton juste. "Adieu les cons", c'est tout cela à la fois, avec des citations visuelles évidentes à Terry Gilliam en plus du caméo...mais c'est bien plus encore.
Quelle claque ! Albert Dupontel nous parle de paumés, comme souvent, et même il incarne un paumé qui a plutôt réussi mais s'est enfermé dans la réussite sociale telle que la dénonce Ken Loach (dont il connait toute la filmographie évidemment). Il s'attaque comme ses copains Gustave de Kernvern et Benoit Delépine à la déconnexion du réel qu'entraine l'ultra surveillance, les smartphones, les réseaux sociaux, les gafa avec une forme de désespoir plus que de lutte mais avec beaucoup d'humour car il est poli...forcément. "Effacer l'historique" était l'un des meilleurs films du duo issu du Grosland, sorti en septembre dernier et "Adieu les cons" est le meilleur film de Dupontel.
C'est son plus abouti, son plus percutant. Le film est court, 1h27, et cela suffit amplement. Pas une scène n'est superflue. Le burlesque est roi grâce à des trouvailles visuelles iconoclastes qui illustrent le propos social sans le rendre lourd. Son fidèle Nicolas Marié apporte lui aussi de nombreuses scènes comiques absurdes et vraiment drôles. Et puis Dupontel ose le romanesque et assume le risque casse gueule de sonner faux, d'être lourd. Sauf que "Adieu les cons" ne dérape jamais et reste sur le fil tout du long entre tragédie et humour, émotion et explosion comique. Cette émotion se transforme alors en message bouleversant d'une grande maturité qui vous emporte sur un final magistral. "Adieu les cons" est son film le plus équilibré, nourri de son expérience de ses autres longs métrages et de sa grande tendresse pour ses personnages. La bienveillance et le regard lucide et intelligent d'Albert Dupontel sur le monde qui l'entoure font qu'il vient de signer un très grand film.
J'en suis ravi pour cette année cinéma 2020 qui finalement ne sera pas si désertée que cela. J'en suis surtout ravi pour lui et pour les cinéphiles auxquels il offre un si beau résultat. Merci Monsieur Dupontel.
La piste aux Lapins :
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