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Bertrand Blier, l’absurde et la provoc en bandoulière …


Mon ptit coeur de blanc lapin cinéphile est mis à rude épreuve.


On vient de perdre deux immenses réalisateurs. David Lynch génie du cauchemar surréaliste et moins d’une semaine après Bertrand Blier, cinéaste de l’absurde, qui avait la provocation en bandoulière et savait bousculer les conventions avec un style unique digne héritier anar de Buñuel et de Ionesco.


Amoureux des dialogues ciselés porté par des gueules de cinéma, Bertrand Blier était devenu culte très tôt avec les Valseuses et a su prolonger l’expérimentation de son irrévérence jusqu’aux sommets. Il faut dire que le fils de l’immense acteur Bernard Blier, a pu très tot acquérir sa liberté artistique porté par la critique, par sa bande d’acteurs dont son pote Gérard Depardieu, et par l’accueil triomphal du public durant les années 70 et 80, la plupart de ses films étant multimillionnaires en entrées alors même que le style Blier n’est pas facile d’accès pour tout le monde car il faut accepter l’incongruité et la provocation même si son talent d’écriture était brillant et d’une drôlerie tirée des monstres sacrés qu’il fréquentait enfant, les potes de son père, Michel Audiard en tête.


Cette liberté qu’il avait et qui traversait ses films auxquels nul autre ne ressemblait, était très liée à son caractère pessimiste et moqueur, son look impassible à l’humour froid, son regard caustique mais tendre sur ses personnages et sa capacité à insuffler de la poésie dans ses mots, dans ses dialogues brillants tout comme ses scénari souvent absurdes mais d’une originalité confondante. Le style Blier. Réalisateur culte, oui, assurément.


Le premier film qui va faire l’effet d’une bombe c’est évidemment Les Valseuses. film phénomène, 5,7 millions de spectateurs et l’explosion de trois acteurs, Patrick Dewaere, Gérard Depardieu et Miou Miou.


Comédie de mœurs post 68, le film est désenchanté et d’un anticonformisme violent mais très drôle. Blier transgresse et ne s’arrêtera plus.



S’en suit Calmos en 1976, où il scandalise le public en prenant le contre pied de la révolution féministe qu’il tourne en dérision pour ses excès, toujours moqueur.

Les femmes ici poursuivent ses deux héros, deux heteros qui veulent juste qu’on leur foute la paix, bien boire et manger. Lassés du sexe, et décalés par rapport à cette prise d’indépendance de la gente féminine, ils préfèrent fuir. Tout comme Les Valseuses, notre regard actuel pudibond juge ces films avec des lunettes du futur et c’est stupide. On accuse aujourd’hui Blier d’être misogyne et le vent de la cancelled culture est encore la, comme dans 1984, la dictature de la bienpensance, sans aucun second degré, sans recontextualisation avec l’époque. Blanc/noir, pas de nuances, triste époque même si il faut évidemment se réjouir des bien faits de la révolution #MeToo, qui est loin d’être terminée. Mais bon, un peu de nuance et de dixième degré svp. Les deux amis  Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort se retrouvent devant la caméra de Blier et sont géniaux, grand moment.


Préparez vos mouchoirs fait se retrouver Patrick Dewaere et Gérard Depardieu, 1,3 million d’entrées, l’Oscar du meilleur film étranger en 1977. Moins réussi mais pas mal quand même.


Son deuxième chef d’œuvre c’est Buffet froid, summum d’humour noir, que j’ai revu juste avant d’écrire ces lignes, qui n’a pas pris une ride. Buffet froid parle pour la première fois de la mort. Mais il le fait avec un humour féroce et la encore j’ai hurlé de rire notamment devant des scènes géniales où Bertrand Blier donne à son père Bernard Blier des répliques savoureuses tout droit sorties des films dans lesquels son paternel tournait type Les tontons flingueurs.

Jean Carmet, Bernard Blier et Gérard Depardieu sont un trio de dépressifs blasés qui tuent des gens comme on tue le temps, c’est au combien immoral et absurde, les personnages tentant de reprendre le dessus sur des événements qu’ils subissent et dont ils sont en même temps coupables. Les décors et les personnages sont déshumanisés pour mieux se moquer de la fragilité de l’existence, une vraie claque comique.


En 1980, Beau-père offre à Patrick Dewaere l’un de ses plus beaux rôles. Blier abandonne son style le temps d’un film tendre sur un sujet ultra sulfureux qu’il serait impossible à réaliser aujourd’hui où l’histoire d’une adolescente qui tombe amoureuse de son beau-père. Troublant, immoral et pourtant vraiment interressant car le film n’est en rien une apologie de l’emprise, du détournement de mineur ou de l’inceste. Non le film fait preuve d’une étrange façon d’aborder un complexe d’œdipe parallèle. Gonflé mais réussi.


En 1982, La femme de mon pote réunit Coluche, Thierry Lhermitte et Isabelle Huppert mais la Blier livre une comédie plus inégale et moins inspirée.


Puis Nathalie Baye et Alain Delon tournent pour lui dans Notre Histoire, où un garagiste alcoolique aborde une femme dans un train et devient son homme. Film mineur la aussi.


Mais en 1986 Blier frappe un grand coup avec Tenue de soirée où son sens du dialogue, du casting et de la provocation vont atteindre leur paroxysme. Miou-Miou plaque son mec qu’elle maltraite joué par un Michel Blanc exceptionnel qui sera sauvé par un Gérard Depardieu en mac au grand cœur. Mais son film est un chef d’œuvre tout autant pour son rythme, que par la tendresse qui arrive à un moment surprenant et désarme le spectateur. Prix d’interprétation à Cannes pour Michel Blanc.


En 1989 il enchaîne avec Trop belle pour toi où une histoire où Josiane Balasko est préférée par un Depardieu à Carole Bouquet. Singulier et toujours avec le style absurde mais avec cette corde de tendresse en plus qu’il a acquise avec Beau-père.


Merci la vie en 1991, est aussi un succès public avec 2 millions d’entrées, et critique avec le Grand Prix du jury à Cannes, 5 Césars dont celui de meilleur film et de meilleur réalisateur. Blier retourne au road movie et s’amuse avec les époques et les thèmes multiples, maladie, sexe, nazisme, jeunesse, etc… mais cette fois-ci ce sont des femmes, de jeunes femmes, qui portent son film. Anouk Grinberg et Charlotte Gainsbourg illuminent le film de leur fragilité et de leur jeu exceptionnel, entourées d’une gallerie de seconds rôles des habitués de Blier, Depardieu, Michel Jean Carmet mais aussi Jean-Louis Trintignant, Catherine Jacob, Annie Girardot…


Anouk Grinberg, compagne à la ville du réalisateur, revient dans le trop oublié Un, deux, trois, soleil (1993) aux côtés d’un Marcello Mastroianni impérial et hyper émouvant, de par sa fantaisie et son rôle de père fantasque. Un très joli film poétique et libre. Claude Brasseur et Jean-Pierre Marielle, en second rôles géniaux.


Le troisième film avec sa compagne aura raison de leur relation. En 1996, Anouk Grinberg est prostituée dans Mon homme aux côtés de Valeria Bruni Tedeschi et d'Olivier Martinez. Ses clients sont joués par Mathieu Kassovitz, Jacques Gamblin, Jean-Pierre Darroussin, Robert Hirsch. Et puis un soir elle tombe amoureuse d’un sdf, joué par Gérard Lanvin et elle lui demande de devenir mac, ce qui ne le motive pas du tout. Ce sera le dernier grand film de Blier avant une baisse de régime sur la dernière partie de sa filmographie.


Les Acteurs sort en 2000 avec la plupart des monstres sacrés du cinéma dans leur propre rôles sachant que Blier voulait ensuite faire la version féminine et que l’insuccès du film l’en a empêché.


Jean-Pierre Marielle panique à l’idée qu’on lui refuse un pot d’eau chaude dans un restaurant et la s’enchaîne un délire à la Blier où se croiseront Claude Brasseur, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon, Michel Piccoli, Michel Serrault, Jean Yanne, Dominique Blanc, Pierre Arditi, Josiane Balasko, Gérard Depardieu, Claude Rich, François Berléand, Jacques Villeret…

Je dois revoir le film car ce dernier a été réévalué par la critique depuis sa sortie et que probablement je n’étais pas dedans en le voyant.


En revanche Les Côtelettes s’est fait défoncer par la presse à juste titre, dommage car il réunissait l’immense Philippe Noiret  et Michel Bouquet. Quand à son Combien tu m’aimes ? Avec Bernard Campan, Monica Bellucci et Depardieu, disons qu’on sentait que Blier tournait à vide.


Mais Bertrand Blier livre deux derniers bons films même si inférieurs au génie des années 70 et 80. Tout d’abord en 2010, où Jean Dujardin, déjà très connu, joue un homme qui reçoit la visite de son cancer, joué par Albert Dupontel grinçant à souhait. Le Bruit des glaçons fonctionne, humour noir, très noir mais l’ironie du cinéaste culte renaît autour de son obsession pour la mort, et c’est drôle.


Après 8 longues années, il terminera sa filmographie avec Convoi exceptionnel, où sa muse Depardieu retrouve Christian Clavier avec qui il a joué dans tant de comédies grand public. Le pitch est à la hauteur du style Blier. C’est l’histoire d’un type qui va trop vite et d’un gros qui est trop lent. Foster rencontre Taupin. Le premier est en pardessus, le deuxième en guenilles. Tout cela serait banal si l’un des deux n’était en possession d’un scénario effrayant, le scénario de leur vie et de leur mort. Il suffit d’ouvrir les pages et de trembler…tout est dit. Le film divise, moi il m’a plu, pas tout le temps mais globalement, comme un back to the future  dans l’extravagance de ce pessimiste incisif.


Bertrand Blier emmerdait la pudibonderie, les conventions et se faisait un plaisir à les exploser, façon puzzle.


Il se plaisait à balancer des histoires infréquentables comme disait il de son propre père Bernard Blier, à l’humour trash dans le privé. Une scène bouleversante clôt d’ailleurs le film Les acteurs où il se met en scène à discuter avec son père par delà la mort. C’était cela Bertrand Blier, du cinéma surréaliste, meta, ultra créatif, enlevé, drôle, absurde, provocateur, tendre…juste brillant.


Je suis profondément triste de votre départ cher Bertrand Blier, merci infiniment pour tout cela et comptez sur moi pour faire découvrir votre œuvre majeure au maximum de monde. Un film vu est un film potentiellement sauvé dans la mémoire collective.


Pour reprendre Buffet froid, On est tous en visite. On débarque, on fait un peu de tourisme, et puis on repart. Tu crois sincèrement que ça vaut la peine d’enlever son manteau ? Pour quoi faire ? Attraper la crève prématurément ?


Oui c’est un peu ça la vie parfois, merci d’y être passé cher Bertrand.

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