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Des hommes et des dieux

De: Xavier Beauvois



Xavier Beauvois est un réalisateur que je respecte beaucoup pour l'exemplarité de sa carrière, jalonnée de films aux univers différents, aux scénarios écrits au cordeau, que ce soit "Nord", "N'oublies pas que tu vas mourir", "Selon Mathieu" ou "Le petit lieutenant". Je ne le voyais en revanche absolument pas s'attaquer à l'assassinat des moines de Tibhirine en 1996.


Pour raconter ce drame, Xavier Beauvois se base sur un casting impeccable mené par Lambert Wilson et Michael Lonsdale. Il a la délicatesse de laisser chaque individualité de chaque moine s'exprimer à sa façon. Ainsi il n'y a pas de stars et de jeu d'acteur écrasant celui des autres.

Il est rare d'entrer dans le vase clos d'un monastère, de toucher du doigt le mystère de la foi. Et c'est un peu l'impression que donne ce long métrage. Je suis ressorti avec une idée moins caricaturale de ce choix de vie mais aussi le sentiment d'avoir compris ces moines dans leur réflexion. Peu de films dont la croyance est le thème principal m'ont touché. J'ai pensé curieusement à "Léon Morin prêtre" de Jean-Pierre Melville avec Belmondo. Un film au thème tout aussi peu cinégénique et qui m'avait marqué par sa mise scène, justement.

Le film montre en premier lieu la quiétude de cette vie de moines installés dans un petit village d'Algérie, dans l'Atlas. Le temps semble parfois suspendu, comme si la modernité ne pouvait pas atteindre ce petit ilot perché dans les montagnes. Les moines sont parfaitement intégrés à la communauté, tout comme leurs prédécesseurs. Ils sont la branche sur laquelle les villageois se posent comme le dit l'une des femmes inquiète de leur éventuel départ. Ils rendent des services permanents, assurent la fonction de médecin mais surtout ne cherchent pas à imposer leur foi. Bien au contraire, nous voyons des hommes ouverts d'esprit, ouverts sur la religion musulmane et profondément dénués de toute velléité quelconque sur leur prochain.


La répétition journalière des prières, des lectures et cette vie très rodée les a façonnés telles des pierres apparemment calmes et lisses à l'extérieur, comme si la violence ne pouvait que glisser sur eux quand elle les frappe. Et pourtant, ce sont des hommes avant tout, avec leurs peurs. Et quand le FIS se met à égorger des innocents à l'aveugle et que la menace se rapproche, bien que coupés du monde, les huit moines se retrouvent en proie au doute. Que faire ? Rester pour poursuivre la mission au sein des villageois ou retourner en France. Leurs préceptes répétés sans cesse ne peuvent qu'avoir déterminé leur choix final, qui malgré tous les questionnements ne peut que converger. Avaient-ils réellement le libre arbitre ? Probablement pas, comme nous tous, influencés par notre culture, notre vie quotidienne. Leur amour pour ce pays et ces gens ne pouvait que les forcer à rester alors même qu'ils sentaient l'issue fatale. Ils étaient déracinés de France, et replantés dans ces collines, partir c'était mourir.


L'autre élément surprenant du film est cet amour sans aucune référence sexuelle. Vous me direz que c'est évident provenant de moines. Bien entendu. Cependant, il est si rare aujourd'hui d'observer une telle démonstration désintéressée. Aujourd'hui le cinéma traduit son temps et délivre de nombreuses histoires imprégnées de sentiments mêlés, rarement aussi limpides et asexués. C'est troublant.

Beauvois réussit donc à dépeindre des êtres de relief, ayant chacun une identité dans cette communauté si unie. Cette texture de la foi palpable grâce à la mise en scène va donc côtoyer deux violences parallèles, celle du pouvoir militaire dictatorial et celle des extrémistes fondamentalistes du FIS. Mais le choix de Beauvois de ne pas trop détailler les affrontements et les actes terroristes accentue l'épure de ces vies dévouées aux autres. La nature est d'ailleurs filmée avec la même simplicité que la vie du monastère. Elle donne lieu à des images en total décalage avec les attentats, vus à travers la télévision. Cette excellente idée souligne l'absurdité et la vacuité des évènements alors que la paix peut être si simple, sans tomber non plus dans un discours naif et caricatural.


Après avoir vu la palme d'or si rébarbative la semaine dernière (Oncle Boonmee), je ne peux qu'être frustré de voir que ce film n'a obtenu que le grand prix à Cannes, le second prix...il aurait constitué une si belle palme. Dommage. Mais merci Xavier Beauvois pour cette mise en scène sobre et efficace qui ne nous lâche à aucun moment. Une réussite de plus.


La piste aux Lapins :



















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