Suite et fin du classement des meilleurs films du blanc lapin 2024 !
N°20 - La plus précieuse des marchandises
De Michel Hazanavicius
Il était une fois une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron qui vivaient au fond d’une forêt polonaise. Pauvre bûcheronne se lamentait de ne pas avoir d'enfants. Il était une fois une famille juive, deux jumeaux nouveau-nés et leurs parents, qui se fit arrêter à Paris puis déporter vers le camp d'Auschwitz.Dans le train qui les emportait vers une mort certaine, le père fit un geste insensé. Dans un ultime et dérisoire espoir, il lança un de ses jumeaux hors du train. Un jour que pauvre bûcheronne regardait passer un train qu'elle croyait être de marchandises, un paquet en fut éjecté et tomba dans la neige. Comme un don du ciel, cette petite marchandise s'avéra être celle qu'elle attendait avec tant de ferveur. Une enfant.
Michel Hazanavicius s'est essayé à la parodie loufoque avec les Oss 117, au film muet avec The Artist, le plan séquence avec Coupez! ou le biopic avec Le Redoutable.
La plus précieuse des marchandises fait revivre par la voix l'immense Jean-Louis Trintignant, qui nous a quittés en 2022. Et le peu de texte qu'il narre sonne avec une profonde humanité et raisonne avec justesse, donnant une hauteur de vue au récit. Le film lui est quasi muet mais arrive pourtant à émouvoir et à montrer la shoa avec une grande pudeur.
Le film est beau car il est d'une simplicité confondante, montrant le pire du racisme antisémite et la bêtise crasse comme le plus beau d'êtres humains qui ne sont pas dans la haine et la jalousie de l'autre.
Les dessins et couleurs sont plutôt sombres et Hazanavicius laisse la lumière filtrer seulement de temps en temps quand l'humain prend le dessus sur les monstres. Il nous parle d'amour, un sentiment universel, au milieu d'une des pires périodes de l'histoire où l'individu était nié.
La plus précieuse des marchandises a cette pudeur et cette classe de faire vivre la mémoire sans en faire des caisses, car il n'y a pas tant de choses à montrer pour ne pas oublier. Le film est délicat et tout en retenue, il s'impose avec une grande élégance.
La piste aux lapins :
N°19 - Le Robot sauvage
De Chris Sanders
Après avoir fait naufrage sur une île déserte, un robot doit apprendre à s'adapter à un environnement hostile en nouant petit à petit des relations avec les animaux de l'île.
Merveille d'animation, le Robot sauvage est aller courir voir en famille soit entre adultes soit avec des enfants !
L'histoire est rythmée, d'une fluidité et d'une beauté d'animation exceptionnelles. Les messages sont certes naïfs et gentils mais à y regarder ils sont bien plus fins qu'à première vue. D'abord on y parle de famille choisie, de famille d'adoption et de comment dans ces situations on peut tout de même apprendre du comportement de l'autre et grandir dans le bon sens. Le robot sauvage est une superbe allégorie du vivre ensemble, de quoi faire pour unir des forces de personnalités aux objectifs opposés et aux atouts et faiblesses différents, pour faire corps. C'est quoi faire société ? Et bien ce film pour petits et grands en parle tout comme il aborde le racisme, l'exclusion de l'autre et le surpassements de gens différents, parceque élevés différemment, parceque sans les mêmes attributs que d'autres et comment la volonté est plus forte que tout.
Le film est émouvant à plusieurs reprises avec des effets simples et sincères, sans aucun second degré ironique et pour une fois, çà fait du bien tant le cynisme a pris une part prépondérante dans nos sociétés. Mais au cynisme s'ajoute bien souvent l'individualisme et le chacun pour soit et c'est justement le cœur de la thèse du présent long métrage. Le robot sauvage prêche donc pour vos petits de très belles valeurs de tolérance et de comment se créer une identité, un sentiment d'appartenance, que l'on soit de la "mauvaise" couleur, origine ou quel que soit son handicap.
Visuellement épatant, poétique voir philosophique, le film est un classique instantané. Les studios Dreamworks (Shrek, Dragons) ont encore frappé fort avec cette fable écologique et sociologique de haute tenue.
La piste aux Lapins :
N°18 - Mad Max Furiosa
De Georges Miller
George Miller revient à l'univers de Mad Max pour un cinquième film après le carton mérité de Mad Max Fury Road sorti en 2015.
Mais c’est bien Furiosa l’héroïne et non Mad Max, pour la première fois absent !
Ce prequel à Fury Road raconte donc la jeunesse du personnage féministe que Charlize Theron interprètait en 2015 mais qui ne reprend pas son rôle. Première réussite du film, Anya Taylor-Joy (Split, Glass) est immédiatement crédible en Furiosa jeune. C'est une excellente actrice. Le seul problème est qu’elle apparaît au bout d’une heure de film car Miller nous raconte avant son enfance. Et c’est le premier bémôl. Cette première partie aurait méritée 15 minutes en moins.
Le film est très réussi de part l’univers qu’il prend le temps et le soin d’approfondir et plusieurs moments de bravoure et courses poursuites sont purement jouissifs.
Chris Hemsworth est excellent en vraie raclure immonde. Là aussi quelques scènes qui soulignent la cruauté du personnage auraient pu être raccourcies car elles sont redondantes et on a vite compris le message.
Disons que Furiosa est une immersion réussie dans la mythologie fantasy post apocalyptique qu’a créée Georges Miller il y a 49 ans mais qu’il souffre de la comparaison avec Fury Road.
Certes il est malin d’opter pour un film plus narratif là où Fury Road était une course poursuite démente qui ne s’arretait pas. Mais c’était aussi ce rythme, cet upercut d’action brillamment mis en scène qui vous scotchait au fauteuil. Ici Miller passe trop de temps sur certaines séquences et ce sont d’ailleurs ses scènes d’action qui déchirent tout.
Voilà, donc une légère déception même si soyons clairs, c’est du très haut niveau.
La piste aux Lapins :
N°17 - The Apprentice
De Ali Abbasi
Véritable plongée dans les arcanes de l'empire américain, The Apprentice retrace l'ascension vers le pouvoir du jeune Donald Trump grâce à un pacte faustien avec l'avocat conservateur et entremetteur politique Roy Cohn.
Il fallait du culot pour le réalisateur de « les nuits de Mashhad », pour s’attaquer au monstre qui fait vaciller la première démocratie du monde depuis 8 ans. Non que la cible soit compliquée tant le personnage est ignoble et le montre à en vomir sur les écrans du monde entier mais justement, la cible était peut être trop facile pour le cinéma.
On aurait pu craindre un enfoncement de portes ouvertes or le réalisateur préfère s'intéresser à l'origine du mal. Pourquoi ce personnage est-il devenu aussi égotique de manière psychanalytique ? Pourquoi est-il devenu obsédé par la réussite avec une forme de revanche sur lui-même ? Pourquoi étonne t-il le monde entier par son manque total d'empathie ? D'où vient sa forme d'auto-persuasion à écrire une vérité parallèle, à mentir sans aucune vergogne pour arriver à ses fins ? D'où lui vient sa capacité à être brutal et attaquer ses ennemis sans aucune retenue ni décence ?
Et bien Ali Abbasi nous l'explique par son histoire, sa relation à son père, sa honte pour son frère et la petitesse de son comportement malgré une émotion sincère. D'ailleurs le film est réussi car il n'est pas caricatural et ne montre pas qu'un énorme connard. Il montre un garçon plutôt gauche au départ et comment il a été façonné par son avocat, Roy Cohn, un horrible personnage sans scrupules, manipulant ses adversaires à coup de chantages en dessous de la ceinture. Attaquer! Attaquer ! Attaquer ! On voit dans le Donald Trump d'aujourd'hui toute l'ignominie du loup solitaire qu'il l'a créé. Ou plutôt la hyène. Jeremy Strong est absolument génial dans le rôle de bout en bout et Sébastian Stan livre un rôle aux antipodes de ses rôles Marvel, donnant un côté humain et beauf au personnage et illustrant sa veulerie avec finesse. Ses regards fuyants lorsqu'il décide d'abandonner un proche qui l'empêche d'avancer, son comportement de porc lorsqu'il balance à sa femme qu'il ne la désire plus et qu'elle ne sert plus à rien avant une scène effroyable.
Voici un biopic qui effectivement n'a pas du plaire au candidat à la maison blanche.
The Apprentice est l'histoire d'un monstre sans affect près à tout écraser pour réussir qui forme un jeune poulain qui apprend ses préceptes et les met en application avec encore moins de conscience car il ne jure que par une chose, lui. Une figure égotique fascinante de part son absence totale de limites qu'il va faire tomber les unes après les autres devenant le business man qui au final ressemble de très près au Président qu'il sera 30 ans plus tard.
Trump est ce que le capitalisme américain a produit de pire à la fin du XXe siècle et qui a sauté à la figure des démocrates du monde entier en 2016. Le film n'a aucun besoin de montrer le mauvais goût, le côté ridicule du personnage puisqu'on le connait déjà. Le film est donc bien plus froid sur ses motivations premières et ne montre pas du tout un abruti mais une personne déjà malade psychologiquement quand il avait 30 ans. Un personnage n'ayant jamais assez de gloire, de richesse et de réussite pour flatter son égo, quitte à tout détruire autour de lui. Reste un personnage très seul avec lui-même.
La piste aux lapins :
N°16 - Iron Claw
De Sean Durkin
Les inséparables frères Von Erich ont marqué l’histoire du catch professionnel du début des années 80. Entrainés de main de fer par un père tyrannique, ils vont devoir se battre sur le ring et dans leur vie. Entre triomphes et tragédies, cette nouvelle pépite produite par A24 est inspirée de leur propre histoire.
Le réalisateur de l'excellent The Nest avec Jude Law revient avec une nouvelle réussite dans laquelle Zac Efron et Harris Dickinson (Sans filtres) cassent leur image.
Efron trouve son meilleur rôle, totalement transformé en monstre de bodybuilding et d'une sobriété confondante. Harris Dickinson, Jeremy Allen White,Stanley Simons sont d'une grande justesse face au monstre que joue Holt McCallan, en père tyrannique dont l'égo et l’obsession que son clan et lui à travers son clan devienne une star. Le film aurait pu tomber dans la pathos tant cette famille a vécu des drames justes hallucinants mais Sean Durkin n'a pas besoin d'appuyer le trait tant l'histoire est bluffante. Au contraire, il fait preuve d'une grande finesse en ne montrant pas certaines scènes pour mieux filmer le sol qui se dérobe sous les pieds du personnage d'Efron, juste en regardant son corps bodybuildé incapable d'agir sur son père et sur les évènements et en filmant de près son regard perdu.
Car le personnage comme ses frères ont été dressés comme des bêtes tout leur vie et entre catholicisme hardcore et un respect puissant pour la virilité et l'ascendance paternelle. Ils sont prêts à sacrifier leur vie aveuglément. En niant toute identité à chacun d'eux, ce père se construit un idéal de famille américaine, qui bouffe de la viande et des protéines et fait de la muscu à mort ou s'offre des flingues à Noël. La caricature d'une certaine forme d'Amérique qui vote Trump aujourd'hui, mais une Amérique sincère dans ses convictions et ses repères. On y voit ainsi tout l'aveuglement d'un american way of life où il faut être le plus fort, le plus testostéroné, jusqu'à y perdre l'essentiel et à fragiliser tout l’édifice, particulièrement friable.
Cette Amérique du show, ce catch qui est à la fois du sport et de la mise en spectacle, n'est jamais regardée avec condescendance. Le réalisateur n'insiste pas sur le côté truqué des matchs. Il préfère se focaliser sur les blessures et tortures que s'infligent à leurs corps ces personnages au nom d'un gourou aveuglé qui n'est autre que leur père. La fratrie est à la fois une meute dont le père entretient une concurrence interne malsaine et à la fois d'un amour et d'une solidarité très forte. La tendresse qui unit ces frères est assez touchante, eux qui ont connu une éducation pour le moins totalement tarée, telles des bestiaux de concours qu'on envoie au rodéo.
Iron Claw est autant un film sur l'Amérique profonde et les faux semblants hypocrites de la réussite que sur le phénomène d'emprise d'un paternel buté et violent. Mais la nuance de la mise en scène et du jeu des acteurs apporte une dimension vraiment originale au propos. Une excellente surprise.
La piste aux Lapins :
N°15 - Nosferatu
De Robert Eggers
Robert Eggers, réalisateur de The Witch et The Lighthouse, et du film de Vikings The Northman réalise donc le remake de Nosferatu, inspiré de Dracula et qui a marqué avec la version de F.W. Murnau en 1922 puis celle de Werner Herzog.
Ce qui frappe c'est la proximité avec Dracula puisqu'il s'agit exactement de la même histoire (Nosferatu étant à la base un plagiat de Bram Stoker). Très vite on comprend qu'il y aura peu de surprises sur le fil général du récit. Mais Robert Eggers est l'un des formalistes les plus en vue d'Hollywood et l'un des réalisateurs indépendants de renom international qui a éclos depuis moins de 10 ans. Il fait partie de la génération post Guillermo Del Torro ou Wes Anderson.
Si son film ne cherche pas l'originalité de récit à tout prix, il arrive à signer à son tour un petit bijou en s'axant sur des choix de mise en scène et de colorimétrie très marqués. Son bleu délavé rend hommage à ses deux prédécesseurs tout en portant une touche gothique assumée. Plusieurs idées brillantes traversent le film de la lévitation de Lily Rose Depp et ses cauchemars vraiment effrayants, à l'arrivée de Nicholas Hoult au château du comte, hommage sublime en noir et blanc jusqu'à cette main de Nosferatu qui s'étend en ombre sur la ville. Le film est somptueux de bout en bout.
Bill Skarsgård a lui aussi une apparence très différente des deux précédents Nosferatu plus proche de ce que l'on imagine d'un cadavre de comte des Carpates, très loin aussi des incarnations de Dracula, et c'est tant mieux. Nicholas Hoult joue lui le mari de la victime et s'en tire haut la main avec ce premier rôle où il oscille entre divers sentiments d'effroi et de terreur. Il est très bon. C'est décidément une année riche qui s'ouvre pour lui après la réussite de Juré N°2 de Clint Eastwood et avant son rôle de suprémaciste blanc dans The Order avec Jude Law, dont la presse de Venise était excellente et bien sur son Lex Luthor dans le Superman de James Gunn à venir en 2025.
Lily Rose Depp trouve son premier vrai rôle marquant et joue à merveille soit la femme possédée soit l’ambiguïté entre force de caractère et l'abandon au monstre. Elle porte le film de son interprétation et ceci devrait lui ouvrir des rôles plus intéressants à l'avenir.
En mettant son personnage au centre du récit, Robert Eggers féminise l'histoire en ne faisant pas de cette femme un faire valoir à la terreur, son personnage ayant bien plus de caractère que dans toutes les incarnations précédentes. Willem Dafoe, acteur fétiche du réalisateur et acteur culte tout court, complète le casting avec toujours autant de classe et de brio. Sa filmographie déjà hallucinante s'accroche une nouvelle étoile. La forme n'écrase donc pas le fond romantique et reste nuancée, en laissant plus de place aux personnages du couple par rapport au monstre, avec plus de noirceur que d'autres illustrations et une thématique de l'oppression masculine bien plus marquée. Nosferatu est un vrai film d'épouvante inspiré et moderne, qui a su digérer ses influences pour faire formellement autre chose avec des personnages plus écrits.
La piste aux Lapins :
N°14 - Moi, Capitaine
De Matteo Garrone
Seydou et Moussa, deux jeunes sénégalais de 16 ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Mais sur leur chemin les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple. Leur seule arme dans cette odyssée restera leur humanité.
La critique du nouveau film de Matteo Garrone, brillant réalisateur italien de Gomorra, Reality ou Dogman, s'aventure là où le cinéma n'est jamais allé en terme de thématique. Parler du drame des migrants à travers leur regard à eux est évidemment passionnant car il casse des préjugés. Les Inrocks, Les Cahiers, ou Le Monde détestent le film et lui reprochent son esthétisation, son onirisme et les facilités qu'il prend, lui reprochant d'être lacrymal. Je trouve ces reproches idiots et pour le coup très caractéristiques d'une intelligentsia parisienne pétrie de certitudes.
Matteo Garrone nous montre des gamins qui sont pauvres au Sénégal mais pas malheureux et qui partent pour de mauvaises raisons. On le sait plus ou moins mais depuis Paris on regarde ceci de loin, on entend la société ultra droitisée nous asséner des chiffres sans mettre aucun visage derrière. "Les migrants", çà veut dire quoi ? La grande intelligence de Matteo Garrone est donc de montrer que sur place, plusieurs adultes sont conscients du mirage, des dangers extrêmes et dissuadent les ados de passer à l'acte. Puis va s'enchainer un parcours du combattant, esthétique oui car le désert c'est beau, même quand on peut y mourir. Avec de l’onirisme oui car Garrone ne veut pas livrer un film misérabiliste et justement de pas sombrer dans un documentaire tire larme. On y retrouve toute l'influence de son style avec maladresse parfois mais avec des tripes et c'est ce qui touche justement et rend le film particulièrement émouvant.
Au-delà la l’étroitement de jugement des critiques un peu trop cyniques qui auraient voulu voir un film en noir et blanc avec encore plus d'horreurs et une voix off sentencieuse, le film est donc très réussi.
Très réussi car il montre la noirceur humaine mais s'accroche au formidable Seydou Sarr pour expliquer toute la force de caractère qu'il faut pour venir jusqu'à nous. Alors oui on est pris d'émotion quand on repense à ces milliers de personnes qui après avoir vécu tout cela peuvent se noyer en mer sous nos yeux qui tournent le regard ailleurs. Matteo Garrone ne choisit pas de montrer notre lâcheté d'européens et c'est tant mieux, il ne cherche pas à nous culpabiliser en nous tendant un miroir mais il explique l'avant et c'est bien plus impactant lorsqu’on le relie aux débats du moment. Le Lion d’argent du meilleur réalisateur à Venise est amplement mérité car il ose un parti pris qui marque sans porter de jugements. On ne peut pas accueillir toute la misère du monde certes mais on vit sur une même planète...et au-delà des réfugiés issus de guerres et de déplacements économiques, les réfugiés climatiques seront trop nombreux dans les décennies à venir ! Alors on fait quoi à part construire des murs ?
La piste aux Lapins :
N°13 - Love Lies Bleeding
De Rose Glass
Lou, gérante solitaire d'une salle de sport, tombe éperdument amoureuse de Jackie, une culturiste ambitieuse. Leur relation passionnée et explosive va les entraîner malgré elles dans une spirale de violence.
Je ne suis pas toujours fan des films lesbiens assumés. En général çà me gonfle vite car c'est souvent rapidement cliché. Force est de constater que ce Love Lies Bleeding est une excellente surprise. Certes il y a les scènes de sexe très chaudes qu'on retrouve dans ce type de production et que je trouve pour ma part toujours trop appuyées et longues. Mais ici la réalisatrice y apporte du chien, c'est sexy plus que sexuel et les deux actrices portent le film sur leurs épaules.
Kristen Stewart casse encore plus son image et il est loin très loin le temps de Twilight. Non seulement elle assume son homosexualité en public et c'est courageux encore aujourd'hui à Hollywood mais en plus elle aligne des films exigeants, pas toujours réussis mas au moins elle se met en risque. Elle alterne depuis 15 ans films grand public pour entretenir son côté bankable (Blanche-Neige et le chasseur, Charlie's Angels) et a tourné pour Olivier Assayas (Sils Maria, Personal Shopper), Woody Allen (Café Society), Ang Lee (Un jour dans la vie de Billy Lynn), Pablo Larrain en Lady Di (Spencer), David Cronenberg (Les crimes du futur) ou joue aux côtés de Julianne Moore (Still Alice).
Quant à Katy O'Brian, quasi inconnue, elle déchire grave en femme bodybuildée et homeless qui rêve de décrocher un prix de body-building à Vegas pour trouver un job.
Le célèbre compositeur Clint Mansell (qui a collaboré sur la plupart des films de Darren Aronofsky, Requiem for a dream, Black Swan, Pi, The Wrestler, mais aussi sur Moon, Ghost in the Shell, Stoker) signe une BO pop-rock excellellente.
Rose Glass montre cette Amérique profonde et paumée qu'on a vu si souvent chez les frères Coen. D'ailleurs elle n'emprunte pas que le milieu et parfois s'aventure dans le style jouissif des célèbres frangins mêlé d'humour noir et de violence graphique qui vous saute à la figure. Le film fait parfois penser au Crash de Cronenberg pour sa violence soudaine et la douleur des corps ou au Paris Texas de Wim Wenders pour son no man's land américain ou au Lost Highway de David Lynch. Il y a pire comme références.
Le film est politique par le message en sous-texte sur le port d'arme ou sur les violences à l'égard des femmes tout en emballant le tout dans un thriller hyper tendu et dont plusieurs belles idées de mise en scène font décoller le film plus haut.
Là où "Love Lies Bleeding" aurait pu être une sorte de sous Bonnie and Clyde lesbien, Rose Glass en fait un film avec forte identité et deux personnages solitaires auxquels on va s'attacher par leur passion dévorante qui entretient le feu du film. Le film est singulier même si ultra référencé et il arrive à se détacher de ses inspirations pour livrer un film extrêmement réussi.
Elle n’hésite jamais à verser dans le kitsch, le nihilisme, l'ironie dark et la brutalité sans jamais rien lâcher à cette histoire d'amour sur le fil entre deux accidentées de la vie, victimes en premier lieu du milieu dont elles sont issues et de la région d'Amérique où elles sont nées, ultra pauvre et éloignée de tout. Une des très bonnes surprises de ce premier semestre.
La piste aux Lapins :
N°12 - Juré#2
De Clint Eastwood
L’ incroyable filmographie de plus de 40 films de Clint Eastwood compte de nombreux chefs d’œuvres, un regard unique sur l’Amérique et un talent hors du commun. Évidemment on a pu lui reprocher ses positions trop républicaines à certains moments où il soutenait mordicus des politiques pas très fin. Mais il ne faut juger trop vite à travers notre regard européen d’aujourd’hui un homme à la carrière si riche et longue. Il a certes raté certains de ses films ses dernières années, jugés faciles voire réactionnaires et puis il en a réussi aussi d’autres.
Réputé pour tourner plus vite que son ombre, en un temps record, sans jamais un jour de retard voire en avance sur ses agendas, Clint tire sa révérence à 94 ans et Juré#2 sera probablement son dernier film. Il faut dire que c’est un age hallucinant pour encore avoir la pêche de réaliser un film mais rien ne l’arrête. Les producteurs ont hésité à lui donner le feu vert compte tenu de l’échec de son dernier film, Cry Macho.
Juror#2 est le film idéal pour permettre à la légende hollywoodienne de nous faire ses adieux.
Son casting est impeccable avec Nicholas Hoult et Toni Collette. Hoult est un excellent acteur que je suis depuis ses premières incursions dans la série Skins puis en brillant second rôle dans A single Man, Mad Max Fury Road, X-Men le commencement et X-Men days of future past , La Favorite, ou le génial Le gang Kelly. Niveau premier rôle, ses tentatives n’ont pas fonctionnées au box office mais il est revenu en grâce à la trentaine avec son rôle de Pierre II de Russie déjanté et cruel dans la série The Great ou son rôle inquiétant dans The Menu. Il est annoncé chez deux réalisateurs hyper hype cette fois ci en premier rôle avec Nosferatu de Robert Eggers (The Northman, the lighthouse) qui sortira fin décembre ou The Order de Justin Kurzel avec Jude Law où il jouera un gourou de secte des années 80 et qui a reçu un excellent accueil à Venise. Enfin, il sera le grand méchant du nouveau Superman de James Gun qui sortira à l’été 2025 en incarnant Lex Luthor. On peut donc dire que sa carrière prend enfin son envol.
Et la dans Juror#2 il est très bon, dans le role du futur père rangé qui cache un passif plus complexe et qui va se retrouver dans un dilemne moral incroyable. Que faire ? Sacrifier sa vie pour la justice et la liberté d’un autre ou raisonner égoïstement? Il arrive à exprimer avec finesse cette culpabilité, ses doutes durant les scènes de procès tout comme la facade quand il ment ou tente de convaincre ses co-jurés. Clint a du penser à 12 hommes en colère, forcément.
Toni Collette est excellente en procureure obsédée par la dernière ligne droite vers sa carrière politique. En ce sens Eastwood dresse un portait passionnant du système judiciaire américain. Entre l’avocat nommé d’office, compétant mais sans moyens, cette procureur cynique qui ne pense pas vraiment à la justice comme priorité plus par habitude et carriérisme, ces jurés qui jugent sur un délit de faciès et d’historique. C’est sur que quand on est un beau blanc futur papa et bien sous tous rapports, on a moins de chances d’être suspecté. Et Clint Eastwood, pourtant réputé bien à droite, interroge ce déterminisme social via ce dernier film, avec beaucoup de finesse. Il interroge également le mal, la naissance du mal par besoin de survie ou par égoïsme où l’instinct primaire prévault sur la justice. Et surprenant de sa part, il met en doute la facilité de l’erreur judiciaire au regard des peines de prison délirantes qui peuvent tomber sur une personne reconnue coupable par douze autres, qui ont juste parfois envie de rentrer chez eux très vite et ne se sentent pas impliqués.
Un très bon dernier film de l’ultra classe Clint Eastwood et un très bon premier rôle pour Nicholas Hoult à qui j’en souhaite plein d’autres dans les mois à venir.
La piste aux Lapins :
N°11 - Quand vient l’automne
De François Ozon
Michelle, une grand-mère bien sous tous rapports, vit sa retraite paisible dans un petit village de Bourgogne, pas loin de sa meilleure amie Marie-Claude. A la Toussaint, sa fille Valérie vient lui rendre visite et déposer son fils Lucas pour la semaine de vacances. Mais rien ne se passe comme prévu.
François Ozon est l'un des réalisateurs français les plus prolifiques avec 23 films en 29 ans de carrière de long métrage, à 56 ans à peine...or c'est aussi l'un des meilleurs, n’hésitant pas à changer de style. Deux tiers de sa filmo est d'un excellent niveau.
Quand vient l’automne fait partie de cette catégorie. Le film brasse la thématique du vieillissement et de la solitude, de la famille qu'on se choisit, du manque de reconnaissance des enfants, de l'amour amical ou pour un petit-enfant mais il le fait sur un mode chabrolien du thriller à la campagne.
Ozon se plait à nous perdre dans une apparente monotonie de vie d'une petite vieille pour nous distiller des doutes tout au long du film sur sa culpabilité, sa duplicité ou sa résignation à un destin qui fut déjà bien rude pour elle. A ce titre la révélation sur son passé explique à la fois tout mais reste suffisamment elliptique pour maintenir cette atmosphère entre deux eaux. Que penses et cache réellement cette femme incarnée brillamment par Hélène Vincent, qui mériterait une récompense tant son personnage est à la fois attachant et glaçant mais on ne sait pas pourquoi réellement. François Ozon se laisse aussi aller à de vrais moments de tendresse que ce soit l'amitié qui lie le personnage principal à celui de Josiane Balasko ou celui qui la lie à son petit-fils.
Le trouble est donc peut-être le maitre mot de ce film surprenant où encore un fois Ozon filme superbement des femmes, cette fois-ci dans le troisième âge mais avec ce même attrait pour des personnages complexes.
La piste aux lapins :
N°10 - Le successeur
De Xavier Legrand
Xavier Legrand revient six ans après son uppercut "Jusqu'à la garde" avec un autre film coup de poing, auquel on ne s'attend pas du tout.
Heureux et accompli, Ellias devient le nouveau directeur artistique d’une célèbre maison de Haute Couture française. Quand il apprend que son père, qu’il ne voit plus depuis de nombreuses années, vient de mourir d’une crise cardiaque, Ellias se rend au Québec pour régler la succession. Le jeune créateur va découvrir qu’il a hérité de bien pire que du coeur fragile de son père.
Marc-André Grondin, qu'on a pu voir dans C.R.A.Z.Y., Le premier jour du reste de ta vie ou la série Spotless porte le 1er rôle de ce film tourné au Quebec. Il est parfait en jeune star de la la mode dot on ne comprends pas ce qui l'a poussé à couper les ponts avec son père. Après première heure où l'on essaie de comprendre les raisons en suivant ce préparatif d'enterrement accéléré mais avec toujours un tension de mise en scène, le film bascule dans un triller surprenant et brillamment mené.
Le film est à la fois cruel dans son jeu de miroirs et glaçant par ses révélations et rien que pour cela le scénario et la mise en scène valent clairement le détour. La grande maitrise qui s'en dégage impressionne vraiment et vous fera penser au film après la séance.
Le film passe de la terreur à la remise en question fondamentale de toute la vie du personnage principal. Le rapport à son géniteur est au centre du récit mais d'une façon si surprenante qu'on en reste bouchée bée.
Xavier Legrand est donc décidément un auteur à suivre de très prés.
La piste aux Lapins :
N°09 - L’Histoire de Souleymane
De Boris Lojkine
Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète son histoire. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas prêt.
Le prix du Jury et le prix d'interprétation Un Certain Regard de Cannes 2024 avait fait sensation en mai dernier. On comprend pourquoi.
Alors que l'immigration irrigue nos médias et l'opinion publique qui vote à 40% pour des partis d'extrême droite et près de 50% pour des partis souhaitant contrôler très fortement l'immigration, L’Histoire de Souleymane est une bouffée d'humanité qui devrait être montrée en prime time sur TF1 ou France 2, et surtout aux politiques qui usent et abusent du sujet. Le fait qu'on ne puisse pas accueillir toute la misère du monde, qu'il y ait un problème d'immigration, n'est pas le sujet.
Le sujet c'est notre capacité à comprendre ce que traversent ces individus et faire preuve d'un peu plus de recul que des chiffres dans un tableau. D'ailleurs le film aurait pu utiliser l'angélisme et montrer un migrant qui a toutes les raisons d'être régularisé. Mais non, le film ne choisit pas la facilité et va juste décrire le quotidien, l'enfer que vit Souleymane pour gagner un peu d'argent en livreur afin d'obtenir des documents permettant de couvrir une histoire à raconter aux autorités. De partout il est exploité par d’autres qui profitent de la misère d'originaires d'Afrique plus malheureux qu'eux car débarquant sans rien savoir. Le film est émouvant de bout en bout de par son acteur non professionnel, Abou Sangare, sans papier dans la vraie vie, prodigieux de naturel. Il l'est aussi par ce récit d'un déracinement économique, par le calvaire et les sévices qu'il raconte et qu'il a vécus et par le traitement qu'il reçoit une fois arrivé ici. De la parisienne connasse qui refuse sa livraison un peu froissée au patron de bar qui prend son temps et lui fait perdre de l'argent, de son exploiteur qui lui sous loue un compte deliveroo à un aatre exploiteur qui lui fait payer son histoire et sa légende à raconter. Il y a très peu de solidarité et il est seul, tout seul à tenter de décrocher ces papiers et on ne saura pourquoi qu'à la fin, dans une scène déchirante à pleurer.
L’Histoire de Souleymane est un film important car il combat l’indifférence quotidienne de chacun des citadins de grande ville qui ne voient même pas ces personnes ou ces livreurs. Le film est bouleversant car il ne tombe jamais dans le tract politique ni dans la sensiblerie, il ne fait que décrire une réalité que l'on sait vraie car tout transpire une sincérité profonde dans ce film magistral. En choisissant un mode thriller pour raconter l'infortune de Souleymane, Boris Lojkine a choisi une efficacité redoutable pour nous obliger à regarder cet autre avec une profonde humanité, qui fait cruellement défaut à 50% de l'électorat.
La piste aux Lapins :
N°08 - Challengers
Après l'immense "Amore" avec Tilda Swinton qui le fit découvrir à la presse internationale en 2009, Luca Guadagnino, a été auréolé du succès de sa romance gay de "Call me by your name", chef d’œuvre hyper émouvant. Ses films suivants ont divisé comme son remake de Suspiria ou son "Bones & All" , film sur le cannibalisme avec Timothée Chalamet ...assez dgueulasse à regarder. Avec divers projets annoncés et abandonnés, on commençait à douter de Luca Guadagnino.
Mais "Challengers" est sa troisième réussite majeure dont Zendaya illumine chaque scène de son regard noir et de son personnage antipathique à souhait. Mike Faist ("West Side Story") joue brillamment ce mari effacé et soumis à la femme qu'il admire. Et l'histoire suit un trio amoureux puisque des flash backs vont expliquer comment il rencontré cette bombe avec son ami d'enfance et tennisman professionnel. Mais le couple ne parle plus au troisième et on va comprendre pourquoi la relation s'est détruite sur fond de compétition sportive et de compétition pour une femme, le personnage de Zendaya.
L'acteur ayant incarné brillamment le jeune Prince Charles dans The Crown, à savoir Josh O'Connor joue ce troisième personnage et il dégage un charisme assez impressionnant. Découvert dans le très beau Seule la terre en 2017, on l'a vu en 2023 dans le très bon La chimère, et à 33 ans sa carrière est sur le point d'exploser puisqu'il sera du Lee Miller avec Kate Winslet, du remake de "Les Poings dans les poches" par Karim Aînouz (Le jeu de la Reine) avec Kristen Stewart et Elle Fanning, ou du prochain Separated Rooms, film à la thématique gay du même Luca Guadagnino. Et on comprend que le réalisateur le refasse tourner, il crève l’écran face à Zendaya qui pourtant envoie du lourd. Chacune de leurs scènes est d'une forte tension sexuelle alors même que le réalisateur a le bon goût de ne rien montrer des scènes de sexe et de rester extrêmement prude sur la suite, qui n'a aucun intérêt cinématographique...les scènes de cul étant souvent chiantes à mourir.
Surtout, la mise en scène de Luca Guadagnino est rythmée, boostée par une bande-originale punchie. Il nous met dans un état permanent tendu vers la rivalité et le match. C'est un moyen habile de critiquer en creux l'inconvénient de cette adrénaline sexuelle autour du trio et sportive autour du tennis et de faire apparaitre la furtivité des moments et du temps qui passe. Les corps sont jeunes et beaux mais les esprits sont ils heureux ? Et cette amitié détruite par cette jeune femme qui ne pense au final qu'à son égo et à prouver qu'elle peut vaincre, n'est ce pas le message le plus triste et pathétique que le film veut faire passer ?
Derrière cette apparence de film sur le tennis et la compétition de haut niveau, excellemment mis en avant (la scène de la vision depuis la balle est géniale), se cache un autre film plus profond sur la jeunesse qui s'effiloche plus vite qu'on ne le croit, sur l'amitié, sur le couple.
C'est à la fois moderne et pas du tout tape à l’œil contrairement à ce que la bande-annonce pourrait laisser croire. La créativité et la stylisation de Guadagnino pour faire vivre le tennis de l'intérieur du cours se dispute avec le bal des illusions perdues.
Le film aborde aussi l'importance du désir, sentiment souvent réprimé et ou mal considéré, comme dangereux, sulfureux et en dessous du sentiment amoureux dont il peut se détacher. Parcequ'il est indépendant de la raison et donc incontrôlable. Et pourtant, il peut résister au passage du temps et c'est un match pour que le sentiment se maintienne. Challengers est un film sexy et surprenant. Une excellente surprise.
La piste aux Lapins :
N°07 - Les Fantômes
De Jonathan Millet
Hamid est membre d’une organisation secrète qui traque les criminels de guerre syriens cachés en Europe. Sa quête le mène à Strasbourg sur la piste de son ancien bourreau.
Ce premier long métrage a marqué La Semaine de la critique à Cannes cette année et on comprend pourquoi. D'une grande maitrise formelle, le film s’intéresse à un sujet jamais traité au cinéma. On a eu des long métrages sur le Mossad ou des juifs infiltrés cherchant à retrouver des nazis puis des palestiniens ayant perpétré des attentats. Mais concernant les crimes de guerre en Syrie, c'est la première fois à ma connaissance.
Adam Bessa et Tawfeek Barhom sont brillants dans le rôle du traqueur et celui du présumé bourreau passés du côté occidental et tentant de s'intégrer, faussement pour le premier qui a pour mission de retrouver des criminels et de les identifier, par fuite du régime ou de son passé de tortionnaire pour le second.
Jonathan Millet use d'un scénario sur le fil et fait effectivement de son héros un fantôme qui se faufile derrière l'homme à identifier, reste dans son ombre, jusqu'à respirer son odeur. Il tente tenter d'affirmer qu'il s'agit du monstre qui l'a brisé jusque dans sa chair mais qu'il n'a jamais vu, juste entendu et subi ses coups et atrocités. L'autre personnage est difficile à percevoir, on doute forcément de lui, de sa culpabilité et sa démarche, ses gestes, sa façon de parler d'un ton mi doux mi menaçant entretiennent le doute. Adam Bessa lui montre avec une économie de mots, sur un visage parsemé de volonté de se venger, toute l'immensité de la tâche. Va t-il se faire justice soit même et ou laisser la justice intervenir une fois sa mission d'identification faite.
Les fantômes impressionne par sa subtilité, la structure d'un scénario impeccable, et sa démonstration limpide des traumas d'un rescapé et de la façon des les exorciser par la justice, mais laquelle ? Un grand film d’espionnage, original dans son propos, puissant, sans une scène de trop, un thriller de haute tenue.
La piste aux lapins :
N°06 - Civil War
Une course effrénée à travers une Amérique fracturée qui, dans un futur proche, est plus que jamais sur le fil du rasoir.
Alex Garland n'est pas très connu du grand public mais des cinéphiles. Fidèle compagnon de Danny Boyle, il a été son scénariste sur 28 Jours plus tard, Sunshine avant de devenir réalisateur de films de SF ambitieux comme Ex Machina, Annihilation, ou de la série les plus DEVS qui réussissait à rendre compréhensible la physique quantique et créer une atmosphère unique en son genre. Son dernier film, Men, a fait sensation en 2022 entre horrifique et SF. Mais son film suivant "Civil War" se déroule dans un futur proche, en Amérique où une guerre civile est en cours.
Il change radicalement de sujet puisqu'il s'agit clairement d'un film d'action, son plus gros budget mais aussi son premier gros succès au box-office où le film a fait une entrée fracassante au box-office tout en récoltant des critiques dithyrambiques avec une moyenne de 81% sur Rotten Tomatoes, l'agrégateur mondial de critiques, ce qui est un excellent score.
Kirsten Dunst y joue une célèbre journaliste de guerre qui décide de partir pour Washnigton où le Président des Etats-Unis est assiégé, dans l'espoir de récolter la photo qui fera date. Elle est accompagnée de collègues tous joués par un casting au top avec Wagner Moura ("Narcos"), Stephen McKinley Henderson ("Dune") et Cailee Spaeny ("The First Lady", Priscilla et bientôt Alien Romulus).
Kirsten Dunst est toujours aussi brillante. On l'a connue ado dans Entretien avec un vampire, on l'a vue grandir avec Virgin Suicides, les Spider-Man de Sam Raimi, Marie-Antoinette de Sofia Coppola, Melancholia de Lars Von Trier, la géniale saison 2 de Fargo, récemment The Power of the Dog de Jane Campion. A 41 ans, sa carrière est très classe et exigeante et son rôle dans Civil War est une nouvelle médaille. Son regard triste et son attitude en dehors de la réalité lui donnent un masque, celle de la distance du photo journalisme avec son sujet. Ne pas s'émouvoir, ne pas intervenir et juste témoigner. Mais où est la limite entre le témoignage et l'aspect charognard de l'image choc, incandescente et cruelle. Et c'est tout le cœur passionnant de ce faux film d'action qui certes envoie du lourd et tient sous tension avec des scènes impressionnantes et stressantes. Mais le sous-texte est celui de ce regard non impliqué, drogué à l'image qui pourra faire l'histoire, quitte à risquer sa vie. Cailee Spaeny lui donne le change dans le rôle de la jeune femme encore peu mature qui veut risquer sa vie pour apprendre et va tomber dans les travers malgré les avertissements au final bienveillants de son idole, cette star journaliste sur qui les sentiments et l'émotion glissent comme l'eau sur des plumes de canard. Le décalage entre la froideur et la distance au sujet de l'une se croise avec la curiosité et l'excitation de l'autre au fil des épreuves que les quatre journalistes voit traverser. Cailee Spaeny capte la lumière comme rarement et prouve qu'elle est belle et bien l'une des grandes découvertes de l'année et que c'est une star en devenir, au potentiel énorme.
Et puis Alex Garland use de son talent de metteur en scène, entrainé à la dure depuis trois films exigeants, pour livrer toute la violence et la brutalité amorale d'une guerre. Et pour se faire, au-delà du tour de force visuel, il choisit en plus de ce regard neutre du journaliste, de ne pas expliquer pourquoi l'Amérique est en guerre et si il y a un bon ou un mauvais côté. Non il n'y en n'a pas. Il y a juste la guerre, les morts éparpillés dans des villes en ruines ou des campagnes si belles mais tachées de rouge. Et il nous montre sans esthétisation malsaine ce que serait une guerre dans un pays si avancé. Et le problème c'est qu'il n'a pas besoin d'expliquer les raisons car ce n'est pas tant de la fiction que cela quand on voit des Trumpistes décérébrés envahir le capitole, croire que la terre est plate ou que des démocrates mangeant des bébés dans un complot délirant et que le résultat de cet affaissement culturel et sociétal aboutit au clivage effrayant que l'on connait aujourd'hui dans les Etats pas si unis que cela d'Amérique.
La déliquescence d'une nation avait rarement été montrée de façon aussi glaçante, crédible et hélas envisageable de part le nihilisme et le refus de l'autorité démocratiquement élue qui traverse l'Amérique et les pays occidentaux aujourd'hui. Alex Garland signe un grand film politique sans prendre parti ce qui est un tour de force impressionnant. C'est particulièrement gonflé et pacifiste de part l'effet que le film procure à sa sortie. La morale est audacieusement laissée au jugement du spectateur car Alex Garland le respecte et l'espère assez intelligent pour comprendre. Un très grand film.
La piste aux Lapins :
N°05 - Daaaaaali !
Je critique souvent Quentin Dupieux pour ses idées de pitch excellentes qui s’essoufflent et ne se diluent pas assez bien sur un long métrage. Souvent ses films finissent en queue de poisson.
Mais avec Daaaaaali, il signe de très loin son meilleur film, le plus abouti dans son concept et le mieux ficelé malgré sa folie.
Quoi de mieux pour rendre hommage à ce maitre du surréalisme que de raconter une histoire complètement barrée imbriquée autour du rêve et de l’effacement de la réalité.
Le film est très drôle et peut compter sur un casting impeccable dont un Edouard Baer et un Jonathan Cohen excellents dans leur interprétation de Salvador Dali.
Le film est absurde de bout en bout et joue sur les boucles et poupées gigognes imbriquées, ce qui ne pouvait que me ravir tant j’adore cette forme d’imaginaire.
Daaaaaali ! est donc une réussite totale, à la hauteur de la folie du peintre et probablement le plus bel hommage qu’on pouvait lui rendre en faisant sentir à la fois son égocentrisme maladif et le personnage qu’il s’était trouvé mais aussi les délires qui lui ont permis de peindre ses œuvres uniques.
Et passer cette incarnation avec autant d’humour et de second degré était loin d’être évident. Quentin Dupieux était le mieux placé pour atteindre un objectif aussi barré il a réussi au la main. Respect !
La piste aux lapins :
N°04 - Les graines du figuier sauvage
De Mohammad Rasoulof
Le prix spécial du Jury du festival de Cannes 2024 ne récompense pas uniquement le courage de son réalisateur qui a fui l’Iran pour venir présenter son film en compétition, condamné à la prison et des coups de fouet, et déchiré d’avoir laissé derrière lui ses proches et les acteurs du film.
Les graines du figuier sauvage est un grand film sur l’oppression du régime de Téhéran et fait écho très intelligemment aux manifestations suite au passage à tabac et au meurtre d’une jeune femme sans voile.
Mais pour en parler, il le fait de l’intérieur en montrant la famille d’un juge d’instruction dont la femme et les deux filles vont s’opposer et se déchirer avec lui pas uniquement sur le fond et la liberté mais aussi sur la morale.
Cet homme si droit dans ses bottes, religieux convaincu par le système mais prisonnier de ce dernier et bénéficiant de ses faveurs, a l’avantage de ne pas être présenté de façon caricaturale.
C’est un homme soumis au régime mais qui s’interroge mais jusqu’où? Et là où le film est très fort, c’est qu’il explique en quoi la théocratie tient sur la terreur et la répression violente mais aussi sur un régime de patriarcat qui soumet les femmes et fait des objets.
En ce sens le film de Mohammad Rasoulof est plus universel qu’un film sur l’Iran d’aujourd’hui. Il décortique l’engrenage culturel et l’enfermement de cet homme qui va graduellement glisser de plus en plus dans la dénégation de soit par peur mais aussi par conviction. Le doute et la délation sont alors le venin qui détruit tout concept de famille et écrase cette dernière. Tout système dictatorial s’attaque en premier à la culture et délie les liens familiaux ou amicaux pour que tout le monde surveille tout le monde.
En signant ce film après déjà deux bijoux qu'étaient Un homme intègre et Le diable n'existe pas, Rasoulof poursuit son combat politique avec finesse et livre un film qui vire au thriller pour une efficacité redoutable. Mais le film laisse malgré tout un espoir. Certes le régime est plus fort et ancré qu'on ne le croit car il s'appuie sur une soumission idéologique et patriarcale mais c'est un colosse aux pieds d'argile. Tout la symbolique de la fin du film est d'ailleurs très forte et montre que face à la morale et au soulèvement même au sein d'une famille, la banalisation du mal finissent toujours par céder. Mais pour cela il faut faire corps et isoler le mal.
Un film très fin.
La piste aux lapins :
N°03 - Tatami
De Zar Amir Ebrahimi, Guy Nattiv
La judokate iranienne Leila et son entraîneuse Maryam se rendent aux Championnats du monde de judo avec l'intention de ramener sa première médaille d'or à l'Iran. Mais au cours de la compétition, elles reçoivent un ultimatum de la République islamique ordonnant à Leila de simuler une blessure et d’abandonner pour éviter une possible confrontation avec l’athlète israélienne. Sa liberté et celle de sa famille étant en jeu, Leila se retrouve face à un choix impossible : se plier au régime iranien, comme l'implore son entraîneuse, ou se battre pour réaliser son rêve.
L'actrice iranienne des Nuits de Mashhad, Zar Amir Ebrahimi, prix d'interprétation féminine à Cannes, en exil en France depuis 2008, a donc réalisé un film avec un israélien, Guy Nattiv et c'est une énorme claque !
On voit peu de chefs d'oeuvres chaque année, deux trois parfois un peu plus. Et bien ce Tatami en est un, d'uner puissance narrative exceptionnelle.
Le noir et blanc apporte souligne la sobriété du long métrage et de ces athlètes de judo qui veulent juste vaincre à un tournoi international et prouver leur valeur. Sauf que l’obscurantisme et la stupidité des mollahs d'Iran veut les empêcher car le risque de perdre face à Israël, l'ennemi, serait inimaginable. De là les réalisateurs vont filmer tel un thriller cette aventure sportive et cette histoire de courage et d'émancipation.
Tout en montrant comment les femmes sont soumises et n'ont droit qu'à obéir sans discuter et se soumettre, le film montre comment se construit ou pas le déclic de tout quitter, tout lâcher et arriver au courage nécessaire.
Le film au début se déroule sous forme d'enchainements de tournois mais on comprend très vite que la dimension politique va fracasser ces deux destins de cette judoka et de son entraineuse, dont le passé et le passif est expliqué par quelques dialogues en miroir déformant d'une renonciation d'elle même qu’elle a du subir quelques années plus tôt.
Se soumettre et renoncer à son identité et sa liberté, ou mettre en danger ses prochinoises et transformer son avenir en enfer sur terre et en privation de liberté pour soit et tous ses proches. Voilà la triste réalité" du régime de Téhéran et Tatami la montre avec simplicité mais avec une forme de panache par cette allégorie du sportif qui cherche à se dépasser et pour qui cette logique théocratique est en soit totalement en opposition.
La beauté formelle de ce bijou et le propos politique brulant vont vous marquer pour longtemps.
Un film fort et bouleversant.
La piste aux lapins :
N°02 ex æquo - Pauvres Créatures
De Yorgos Lanthimos
Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s'enfuit avec un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée étourdissante à travers les continents.
Après The Lobster et Mise à mort du cerf sacré, puis l'excellent "La favorite", qui a valu à Olivia Colman l'Oscar de la meilleure actrice, Yorgos Lanthimos poursuit son excellente carrière et s'impose peu à peu comme un réalisateur avec qui il va falloir compter.
Il retrouve l'une de ses actrices de "La Favorite", à savoir Emma Stone pour une variation libre autour du mythe de Frankenstein.
Adapté du livre Poor Thing d’Alasdair Gray, le réalisateur joue toujours autant de son humour cynique et le goût du malaise qui caractérisent ses films. Mais là il y va très fort.
La salle riait très souvent avec cette galerie de personnages portés par d'excellents acteurs pour des rôles peu évidents, de Willem Dafoe en sorte de docteur Frankenstein qui de scientifique imperméable aux sentiments va découvrir une forme d'humanité, Mark Ruffalo absolument génial en bourgeois égotique et mâle dominant libertin imbu de ses propres certitudes, ou Rami Youssef en seul homme à peu près sincère et aimant. Car c'est clair que le palot Barbie peut aller se rhabiller. "Pauvres créatures" est un pamphlet contre le patriarcat d'autant plus efficace qu'il est très drôle et très intelligent.
Emma Stone trouve quant à elle le meilleur rôle de sa carrière. Elle est absolument bluffante de bout en bout de folie, le regard perdu d'un bébé dans un corps de femme. Sa dégaine est hilarante est frappée. Puis peu à peu son jeu change par petite touche au fur et à mesure que le personnage évolue, l'humanité dans le regard s’allumant peu à peu telle une lampe à pétrole qu'on ouvrirait progressivement... de plus en plus lumineuse. Si elle n'a pas l'Oscar de la meilleure actrice au nez et à la barbe de Margot Robbie pour Barbie, je n'y comprend plus rien. Car oui, la vraie Barbie, c'est elle !
Et que dire de la mise en scène brillante de Yorgos Lanthimos qui déjà avait fait un bond de créativité avec "La favorite". Ces grands angles de caméra auraient pu lasser tout comme son jeu de miroirs sorcières. Mais non car ce côté too much, s’inscrit totalement dans le récit qui alterne entre décors de carton-pâte que Terry Gilliam aurait totalement revendiqué à des décors d'époque victorienne somptueux. Le film est non seulement magnifique visuellement mais en plus imaginaire tordu du réalisateur est sidérant.
En attribuant le Lion d'Or à Venise à ce bijou, ce chef d’œuvre instantané, Damien Chazelle alors président du Jury, ne s'y est pas trompé. Le film marche très bien et récolte des prix de partout et Yorgos Lanthimos tout comme son actrice principale Emma Stone vont très probablement voir leur carrière prendre une autre dimension. Et j'en suis très très content car autant de talent c'est rare et la satisfaction d'avoir pris une énorme claque en voyant un chef d’œuvre de ce calibre.
La piste aux Lapins :
N°02 ex æquo - La Zone d'intérêt
De Jonathan Glazer
The Zone of interest de Jonathan Glazer est le Grand prix du dernier festival de Cannes 2023, et c'est une sacrée claque de cinéma, un choc qui vous restera longtemps en tête.
Jonathan Glazer m'avait scotché avec Under the skin où Scarlett Johansson jouait une extraterrestre vénéneuse, un chef d’œuvre troublant.
Sandra Hüller, actrice de l'autre grand film de Cannes 2023, la palme d'or Anatomie d'une chute, est terrifiante dans le rôle de cette femme parvenue, montée dans l'échelle sociale grâce à son mari haut gradé de l'armée nazie et responsable zélé de l'extermination des juifs à Auschwitz. La banalité du mal qu'elle incarne, son absence totale d'empathie pour ce peuple exterminé en masse de l'autre côté du mur de son beau jardin verdoyant, est glaçante.
Le film suit la famille du dirigeant du camp d'Auschwitz. Mais pour montrer l'horreur et la monstruosité d'individus qui font un travail et sont totalement déconnectés de l'humanité et de la morale, le réalisateur choisit de ne rien montrer du génocide. Et c'est absolument brillant comme idée de mise en scène où le hors champs devient le personnage principal, aidé d'une bande-son exceptionnelle où l'on entend des coups de feu, des cris d'officiers allemands ou de victimes qu'on imagine descendre des trains ou être poussés vers les chambres à gaz. C'est effrayant et j'ai été sidéré du début à la fin par la façon dont Jonathan Glazer arrive à nous happer dans cette horreur sans jamais rien montrer.
Par des scènes ultra marquantes il arrive à souligne l'ignominie absolu et nous clouer au fauteuil. C'est très différent que le Shoah de Claude Lanzmann, référence absolue pour montrer l'immontrable. Là le réalisateur choisit de ne pas montrer et pourtant c'est tout aussi horrible. Regarder le monstre dans les yeux, son quotidien de petit bourgeois et des scènes confondantes d'efficacité. Que ce soit des cendres qui font sortir de leur baignade les enfants du couple, l'adolescent qui s'amuse avec des dents en or, le jardiner qui utilise des cendres , la femme qui distribue à ses femmes de ménages des vêtements récupérés sur les juifs et la scène du manteau de fourrure qu'elle fait repriser....et bien d'autres...chaque scène vous marquera.
Le malaise face au devoir de mémoire qui s'efface, voilà ce qu'arrive à créer La zone d'intérêts.
Dans ce film sans histoire réelle en forme d’uppercut, deux scènes arrivent à tirer les larmes alors qu'elles sont d'une simplicité confondante. Un film bouleversant dont l’expérience sensorielle amène à se dire que tous les adolescents devraient le voir, pour comprendre l'incompréhensible.
Jonathan Glazer a réussi à éviter le spectacle et l'esthétisation de l'enfer en filmant les bourreaux et tout ce qu'ils avaient d'inhumain, à l'image de La mort est mon métier de Robert Merle, biographie romancée du personnage de La Zone d'intérêt, Rudolf Höß , commandant du camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz.
La densité du résultat font de La Zone d'intérêt un chef-d'œuvre formel qui vous mettra en état de sidération mais une sidération nécessaire pour ne rien oublier, jamais rien oublier.
La piste aux Lapins :
N°02 ex æquo - Dune, deuxième partie
De Denis Villeneuve
Denis Villeneuve avait réussi un exploit en 2021 en réussissant à donner au roman de Franck Herbert un visuel et des personnages emblématiques. Le film était grandiose de par l'immensité des décors, des planètes et alternait avec des personnages très bien écrits et très bien joués par des acteurs excellents.
Mais on avait reproché au film de se couper à mi parcours et de frustrer le spectateur et aussi de manquer un peu d'émotions. Moi personnellement j'avais trouvé le résultat brillant, étant un grand fan de Franck Herbert et ayant dévoré les six livres du cycle de Dune. Villeneuve arrivait à capter cet aspect de SF adulte très complexe à rendre à l'image en gardant une forme de réalisme et la sobriété qui a fait son succès sans ses précédents films, de Premier Contact à Blade Runner2049 en passant par Prisoners, Sicario et Incendies.
Le second film est un gros cran au dessus du premier. Durant la première heure, nous passons beaucoup de temps avec les Fremens, peuple des sables. Non seulement le désert est somptueux et l'action est présente avec plusieurs échanges guerriers avec les méchants Harkonnens, mais surtout, ce choix est fondamental. Il permet à Villeneuve de détailler le caractère de Paul, ses doutes, la naissance de son leadership comme la manipulation de sa mère Bene Gesserit, incarnée par une Rebecca Ferguson au rôle amplifié par rapport au roman. On y voit à la fois le jeu politique et religieux qui faisaient toute la duplicité et l'intérêt du livre, voyant naitre la construction d'un anti-héros. Soit l'opposé de Star Wars et c'est pour cela que j'adore Dune. Le film comme le livre est tout sauf manichéen et les personnages la plupart ambivalents.
Zendaya est excellente en Chani, qui comme l'avait dit Villeneuve, a elle aussi un rôle plus important que prévu. Et c'est une superbe idée que d'en faire une non-croyante qui voudrait juste vivre son amour avec Paul et va voir ce rêve et sa vie d'antan balayée par la force du destin. Son rôle est magnifique, très émouvant et c'est elle la vraie héroïne, spectatrice amoureuse qui ne peut empêcher ce qui va arriver. Timothée Chalamet et elkes sont touchants et Chalamet trouve un rôle d'une grande finesse de par l'évolution du personnage et sa prise de conscience terrible de son destin.
Chaque personnage est très écrit et a son temps d'écran, que ce soit Javier Bardem excellent et attachant en Stilgar ou Josh Brolin en maitre d'armes Gurney Halleck.
Face à eux, les méchants ont enfin un vrai temps de présence avec Stellan Skarsgård en Baron Vladimir Harkonnen le temps d'une dizaine de scènes percutantes tout comme son neveu Raban interprété par Dave Bautista. Mais LE grand absent de Dune première partie était l'un des méchants les plus iconiques de la SF, Feyd-Rautha, le second neveu beau gosse et complètement psychopathe du baron, héritier désigné de ce dernier. Austin Butler, quasi inconnu il y a trois ans,et qui explosé dans le Elvis de Baz Luhrmann, s'amuse comme un fou dans ce rôle. Et il est excellent. Certes, il joue beaucoup des regards par le bas mais sa démarche de félin au regard reptilien font froid dans le dos. Chacune de ses apparitions marque la rétine. Le choix de Villeneuve de nous coller du noir et blanc somptueux pour la scène de l'arène est une idée géniale, un fantasme de SF enfin concrétisé.
Et puis il y a Christopher Walken en empereur Shadam IV, tout simplement parfait. En quatre scènes, il suffit à imposer une classe phénoménale à son rôle. L'excellente Florence Pugh (Midsommar, Black Widow) incarne la princesse Irulan, sa fille. Elle est top comme d'habitude et aura un grand rôle à jouer dans le 3ème film, Le Messie de Dune, que Villeneuve souhaite adapter en cas de succès. Le film risque d'exploser les 400 M$ du premier sorti en fin de Covid et avec une sortie simultanée sur HBO Max. Les prévisions sont entre 800 M$ (le double) et un milliard. Ce serait génial car c'est amplement mérité.
J'ai revu une seconde fois le film la même semaine et il est encore meilleur que lorsque je me suis pris une grosse claque il y a quelques jours. Dune Deuxième partie est l'aboutissement d'un travail collectif fabuleux. Les idées visuelles restent sobres mais ultra efficaces et ne nuisent à aucun moment à la complexité de cette SF adulte que je rêve de voir advenir au cinéma. C'est d'ailleurs la première fois qu'un space nopera de cette ampleur thématique et dramaturgique est réalisé. Denis Villeneuve a très bien fait de séparer son film en deux permettant au premier, superbe, d'être une rampe de lancement pour son second, véritable chef d’œuvre instantané qui embrasse avec une très grande intelligence toute la finesse de Franck Herbert. C'est ce qui permettra à Dune de devenir une saga. Star Wars peut aller se rhabiller quand on voit la pauvreté scénaristique des derniers films.
J'avais deux grand rêves de cinéma, le Don Quichotte de Terry Gilliam et une adaptation réussie de Dune. Denis Villeneuve a réalisé ce rêve par cette œuvre magistrale, où aucune scène n'est en trop, d'un respect immense pour l’œuvre littéraire tout en y ajoutant du corps à des personnages féminins qui renforce la puissance du récit et d'une grande originalité par rapport à ce que la SF offre d'habitude.
Denis Villeneuve a réalisé le film de SF parfait, un blockbuster spectaculaire et complexe, dont l’ambiguïté des personnages n'est jamais sacrifiée au service des scènes épiques. Non seulement le film est d'une beauté confondante mais sa double thématique écologique et sur les dangers du totalitarisme religieux sont respectés. Une œuvre grandiose qui marquera la science-fiction et lui ouvrira je l'espère un sursaut qualitatif. Merci Denis Villeneuve pour tout cela.
La piste aux lapins :
And the Winner is...
N°1 - Emilia Perez
De Jacques Audiard
Après « Les Olympiades » où il nous parlait de sexe et d'amour chez les jeunes de 20 ans, LE plus grand cinéaste français, Jacques Audiard, va encore nous surprendre.
Il a déjà aligné d'excellents des bijoux avec Un héros très discret, Regardes les Hommes tomber, Sur mes lèvres, De battre mon cœur s'est arrêté, De rouille et d’os ou Les Frères Sisters.
Mais Audiard change à nouveau de style, à 72 ans. Un courage, une curiosité rare chez un artiste de sa tempe que de se remettre en question et ne pas conserver son style, que de passer de problèmes quasiment exclusivement d'hommes à ceux de femmes.
Mieux, il change de style à nouveau après le western et son film sur les amours libres des jeunes des Olympiades. Si Emilia Perez vous emporte dès les premières minutes dans la comédie musicalise alors qu'on est en plein film de narco-trafiquants et si le choix est casse gueule, il fonctionne merveilleusement, porté par une mise en scène d’un brio exemplaire. Et son film ne va pas changer de style pour un autre mais pour une effusion de cinq styles différents : le film sur la transidentité, la comédie musicale, le thriller narco, le film social et la romance à la Pedro Almodovar. C'est absolument brillant de génie et je comprend enthousiasme des critiques cannoises qui déboucha sur le très prestigieux prix du Jury. Les critiques voulaient voir couronné d'une Palme d'Or, une seconde, qui aurait été amplement méritée.
Son actrice Karla Sofía Gascón a quant à elle remporté le prix d’interprétation féminine. Marion Marechal Lepen a failli avoir une crise cardiaque comme nombre de fachos et non seulement çà me met en joie mais c'est ultra mérité. Karla Sofía Gascón est tantôt vulnérable tantôt brutale. Le fait qu'elle ai du rejouer un homme qui chante très bas car elle a perdu sa voix de son autre vie, c'est très fort. Puis quand elle chante avec sa voix d'aujourd'hui, cette dernière est limpide et accompagne la sortie de l'ombre du personnage vers la lumière, comme un pied de nez ultra classe à tous les réactionnaires de la terre. Elle est l’emblème que ce choix d'une difficulté, d'un parcours sans nom, l'a amenée sur les marches de Cannes et désormais dans nos rétines et elle nous prouve qu'elle est une femme à 2000%.
Jacques Audiard distille ainsi l'histoire de cet abandon d'identité et cette transformation, ces douleurs et la mêle à la noirceur du milieu d'où le personnage vient, du mal qu'il a fait pour l’ouvrir à cette vie qu'il/elle n'a jamais eue, enfermé dans son corps d'homme. Non seulement c'est très beau et souvent très émouvant mais en plus le réalisateur n'est ni mièvre ni complice d'excuses pour ces narcos-trafiquants en effaçant le passé.
D’ailleurs le film parle de choix à assumer jusqu'au bout et du danger de regarder en arrière. A ses côtés les formidables Selena Gomez et Zoe Saldaña sont brillantes également . Zoe Saldaña est à mille lieues de ses rôles habituels et livre une superbe performance, notamment de danse. Car Audiard est résolument d'une modernité confondate sur le thème qu'il traite à 72 ans, sur cette prise de risque qu'il prend en mélangeant ces styles si opposés. Mais il montre aussi des chorégreaphies très modernes de danse hurnaine qui dynamisent son film tout comme les touches d'humour très bien vues.
Avec Emilia Perez, le maitre Jacques Audiard, car il mérite qu'on l'appelle ainsi avec telle filmographie et un tel talent de direction d'acteur, de scénariste, de metteur en scène, le maitre donc livre un énorme chef d’œuvre, un film qui fera date et c'est très très mérité !
J'avais un respect immense pour Jacques Audiard, j'ai désormais de l'admiration.
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